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Poésie lumineuse en façade

Par Audanne Comment – Tracés n° 3525 – novembre 2022

En mars 2019, alors que le chantier ressemblait à une vaste fouille, la Fondation pour le Théâtre du Jura organisait un concours d’idées en deux phases afin de singulariser et offrir une signature visuelle au futur espace d’expression scénique. Ce catalyseur de création théâtrale devait également s’ouvrir aux arts plastiques et visuels. Parmi les 30 projets reçus, l’oeuvre intitulée Chromaticle a séduit le jury. Le titre est un hommage au Ticle, le canal artificiel qui fournissait l’énergie hydraulique aux usines de mécanique et aux turbines électriques de Delémont. Il est l’oeuvre d’un collectif composé de deux designers industriels issus de l’école cantonale d’art de Lausanne (ECAL), André Schlaepfer et Guillaume Capt, associés à Nicola Rigoli, un architecte natif de Delémont. Ceux-ci ont proposé une animation artistique posée sur les façades nord-est et nordouest, tournées vers la route de Bâle constituant l’accès au théâtre. La composition évoque une trame d’eau en mouvement suggérée par 46 verres dichroïques choisis dans trois tonalités. Posées sur la tranche, les surfaces de 60 cm par 30 cm sont soumises à la lumière solaire qui percute le verre, puis se décompose en deux couleurs projetées sur les façades. L’effet évolue en intensité au cours d’une journée. Les couleurs se modifient en fonction de l’angle d’incidence des rayons, dessinant un mouvement de lumière qui change avec la course du soleil. L’oeuvre est colorée lorsque le disque solaire brille de mille feux. À l’inverse, elle s’efface quand une épaisse couverture nuageuse gomme les ombres. Les phénomènes atmosphériques en deviennent une composante essentielle. L’oeuvre pulse avec une intensité qui s’atténue jusqu’à disparaître. L’évanescence est-elle un thème dans notre monde actuel ? Le collectif qui questionne sans cesse la nature nous offre une installation artistique qui s’estompe jusqu’au silence, sans crainte de ne plus exister. En soirée cependant, lors des représentations de danse, de musique ou de théâtre, un éclairage met en mouvement les projections et réflexions de lumière qui donnent du relief aux façades.

Verre dichroïque et course à l’espace

Le verre dichroïque (issu du grec dichroos = bicolore) a pour particularité de séparer un faisceau lumineux en deux composantes spectrales. Apposé sur le verre, un film formé de plusieurs fines couches métalliques décompose le rayonnement du soleil en deux couleurs complémentaires : l’une est transmise à travers le verre tandis que l’autre est réfléchie. La NASA a développé sa production de verre dichroïque entre les années 1950 à 1960 afin de protéger les yeux des astronautes des rayons cosmiques1. Les minuscules quantités de métal présentes dans le verre forment une barrière contre le rayonnement nocif sans en limiter la transparence apparente pour l’oeil humain. De nombreuses applications ont ensuite vu le jour aux États-Unis et un marché s’est développé, notamment dans le domaine de l’architecture. De multiples couches composées d’oxydes de titane, de chrome, d’aluminium, de zirconium, de magnésium ou de silicium (en fonction de la couleur désirée) se condensent sur la surface du verre sous forme nanocristalline après avoir été vaporisées par un faisceau d’ions dans une chambre à vide. La surface métallique possède une épaisseur qui se mesure en nanomètre.

Coupe de Lycurgue

Le verre dichroïque n’est pas pour autant une invention du 20e siècle. La coupe de Lycurgue, exposée au British Museum à Londres est l’un des derniers spécimens encore entiers d’un tel verre fabriqué au 4e siècle après J.-C. par les Romains. Grâce aux nanoparticules de cuivre présentes dans le verre, il apparaît vert par réflexion lorsque la coupe est éclairée par une source lumineuse provenant du même côté que l’observateur. Cependant, si la lumière traverse la matière, sa couleur devient alors rouge par transmission2. Selon Philippe Colomban, professeur émérite à la Sorbonne, le pouvoir de coloration des nanoparticules de cuivre est une découverte celte reprise par les Romains. Selon l’état d’oxydation du cuivre ajouté au verre, ce dernier apparaît turquoise, incolore ou rouge. Plus tard, au Moyen-Âge et à travers l’Europe, on développe des verres jaunes à base de nanoparticules d’argent. Puis à la Renaissance, les nanoparticules à base d’or offrent des teintes rubis à la vaisselle.

Théâtre du Jura

Le Théâtre du Jura a été inauguré en grande pompe en octobre 2021 à Delémont. Le 26e et dernier canton suisse peut depuis s’enorgueillir de posséder un espace de création scénique digne de ce nom. Une grande salle modulable de 444 places accompagne un espace plus modeste de 100 places servant tour à tour de lieu de répétition et de spectacle. Le parlement jurassien a voté un crédit de construction de 24 millions en 2015, financé à deux tiers par les caisses du Canton. Le dernier tiers manquant a été récolté par la Fondation pour le Théâtre du Jura créée pour l’occasion. Un partenariat public-privé a été signé avec HRS Real Estate pour ce qui devenait le plus gros projet immobilier du canton. Sept bureaux d’architecture ont été invités par l’entreprise totale à participer au mandat d’études parallèles au lieu-dit Le Ticle, à Delémont, remporté au second tour par le bureau GXM architectes. Situé entre les quartiers de la vieille ville et de la gare, le théâtre est couplé à un complexe immobilier comprenant un centre commercial, un parking ainsi qu’une centaine d’appartements répartis en trois volumes surmontant un socle, le dernier volume à l’ouest de la parcelle étant celui du théâtre.