© Sébastien Bovy, Fédération vaudoise des Entrepreneurs

Réemploi en construction : l’inspiration vient d’Echallens

Audanne Comment – Tracés n° 3526- décembre 2022

Vous êtes-vous déjà posé la question du nombre de démolitions opérées chaque année en Suisse ? La réponse est : environ 4000 édifices. En d’autres termes, cela signifie que 10 bâtiments passent à la benne chaque jour et engendrent 17 mio m3 de déchets annuellement[1]. La Confédération a entièrement révisé son ordonnance sur les déchets (OLED) en 2015 afn d’améliorer le recyclage et fournir une meilleure compréhension quant à l’importance de cette ressource secondaire de choix. Elle s’appuyait sur trois constats : primo, le respect de l’environnement implique d’aller vers des pratiques favorisant la déconstruction, ceci afin d’éviter la pollution des sols et des eaux ; secundo, le recours aux ressources primaires provenant de l’exploitation de carrières et de gravières entraîne des atteintes au paysage qu’il convient de limiter ; et tertio, des places en décharge montrent une saturation pour un horizon relativement proche, de l’ordre de la décade En 2018, le Canton de Genève publiait un guide des déchets de chantier[2], dans lequel on découvrait les différentes filières d’élimination : la valorisation de la matière en est une – que ce soit pour une réutilisation immédiate ou un recyclage –; la valorisation énergétique en est une autre – pour alimenter les chaudières mais aussi comme combustible dans la fabrication du ciment –; la mise en décharge reste une troisième possibilité – avec le comblement de gravières ou un dépôt en sites autorisés -; et enfn, une voie devenue obligatoire, les substances dangereuses sont éliminées – par des bureaux d’ingénierie ou des entreprises spécialisées. En termes de statistiques, il apparaît que les déchets de chantier[3]se répartissent grosso modo comme tels : 30 % du volume déconstruit deviennent des déchets incinérables, 25 % appartiennent à la catégorie bois, 10 % sont du carton, 10 % rejoignent les minéraux recyclables quand les 10 % autres ne le sont pas, 10 % sont des métaux et les 5 % derniers englobés dans la catégorie « autres » accueillent la laine de verre, le sagex, le PE, etc. Les professionnel·les prennent progressivement conscience de cette problématique, comme l’a présenté l’exposition Die Schweiz: ein Abriss au Musée suisse d’architecture de Bâle[4].

Un centre de formation des métiers de la construction

Aujourd’hui, la valorisation des matériaux de réemploi reste encore l’exception. Si beaucoup en parlent, force est de constater que peu s’y attèlent. En ce sens, le Centre de formation des métiers (CFPC) de la construction constitue un chantier pionnier. Les architectes dettling péléraux ont été mandatés en 2017 pour étudier l’implantation du centre dans des halles récemment acquises à Échallens (VD). Le projet, porté conjointement par l’École de la construction et la Fédération vaudoise des entrepreneurs (FVE) devait initialement adapter des locaux existants organisés en U dans une zone industrielle. Destiné à former les apprentis maçons grutiers et machinistes, le Centre devait en outre accueillir un nouveau cursus de formations continues pour tous les groupes représentés à la FVE (bois, métal, carrelage, plâtre & peinture vitrerie, revêtement de sol, étanchéité). Or l’étude a vite montré les limites de l’ensemble existant en termes à la fois de disponibilité des surfaces et de flexibilité. À ce stade, beaucoup d’architectes auraient jeté l’éponge pour s’ofrir une belle page blanche. Lorsque tout est flottant et qu’aucune solution ne s’impose encore les valeurs et les convictions influencent forcément le jeu. Pour Jean-Marc Péléraux et Astrid Dettling, composer avec l’existant était une évidence. En effet, les nombreuses rénovations qu’ils avaient réalisées au début de leur carrière avaient exigé plus de souplesse que de dogmatisme. Durant ces années formatrices, ils ont appris à intégrer les contraintes sans renoncer à une ligne claire. Cette période initiale a visiblement porté ses fruits sur le chantier d’Échallens.

Conserver l’existant ou réemployer les matériaux

La construction acquise, qui datait des années 1980, était organisée sur deux niveaux. Elle était constituée de poteaux en béton préfabriqué supportant de larges poutres en bois lamellé-collé (BLC). Les parois de l’enveloppe étaient elles aussi en béton préfabriqué, avec une isolation quasi inexistante. Ainsi à l’ouest du site, le bâtiment de tête destiné à l’administration a été maintenu, ainsi que la halle implantée dans son prolongement. Le nouveau volume de 40 x 70 m, qui reprend la trame initiale, est distribué par une rue centrale, généreuse dans ses proportions, illuminée par quatre puits de lumière. Pour réaliser le programme ambitieux du Centre de formation, une seconde halle est construite à neuf, ainsi que diverses salles de classe. Implantée à l’est, cette halle forme un pendant à la première et reprend des éléments de parois déconstruits. La dimension de la parcelle a permis de stocker sur place tout ce qui allait être réemployé. Les parois en béton préfabriqué (580 x 130 x 10 cm) révèlent d’ailleurs leur finesse au moment où elles sont déposées à plat, en se bombant légèrement. Les poutres BLC et les tôles trapézoïdales des toitures sont également réutilisées pour la construction d’un grand couvert extérieur. La déconstruction, la manutention et le réemploi sont autant d’étapes susceptibles d’endommager les pièces. Les goujons qui servaient à l’origine à transporter les parois en béton armé ont été remplacés par des sangles. Les parois sont finalement glissées une à une dans des rainures verticales intégrées dans les poteaux. Par chance, une seule pièce a cédé, car il n’existait quasi aucune marge de sécurité quant au stock disponible. Leur surface qui présentait un grain grossier en façade tourne maintenant leur rugosité vers l’intérieur. Dans la règle, le gros œuvre reste visible à Échallens et s’offre aux yeux des apprenti·es, qu’il soit réalisé en béton ou en briques de ciment. Pour les futurs utilisateurs et utilisatrices qui travaillent habituellement à l’air libre et à la lumière naturelle, une série de sheds orientés nord dispensent une luminosité uniforme et ventilent naturellement les espaces. Réemployer engendre une approche plus respectueuse et plus soigneuse, qui sollicite tous les partenaires d’un projet, de l’architecte à l’ouvrier·ère, afin que le risque reste sous contrôle. Le travail quasi artisanal qui l’accompagne casse les codes d’une production à grande échelle, effaçant l’histoire d’un coup de pelle de bulldozer[5]. Sortir des sentiers battus engendre en effet plus d’heures d’études, qui ne sont hélas pas compensées par plus d’honoraires. Il est donc nécessaire que l’entreprise fasse sa part et collabore, acceptant de déroger à ses habitudes. En observant le résultat à Échallens, on peut en conclure que l’audace se rit de toutes contraintes.

[1] Selon l’OFEV, la Suisse produit 80 à 90 millions de déchets par an qui sont appelés à augmenter, dont 84% est imputable au secteur de la construction :  parmi ceux-ci, 57 millions de tonnes sont issus de matériaux d’excavation et de percement (65%) et 17 millions de tonnes sont issus de la déconstruction (19 %). En comparaison, le volume des constructions en Suisse s’accroît de 63 millions de tonnes de matériaux chaque année. Plus d’informations sur le site bafu.admin.ch, Déchets et matières premières : En Bref

[2] Service de géologie, sols et déchets, Guide des déchets de chantier, édition 2018, République et Canton de Genève

[3] Pour un immeuble d’habitation, le volume global des déchets générés se calcule à partir du volume SIA 116 multiplié par 0,0035. Un taux de répartition permet d’estimer ensuite un volume pour chaque catégorie.

[4 Le collectif Countdown 2030 mettait en évidence l’impact des trop nombreuses démolitions. La pression exercée sur la ville et sa densification entraîne trop souvent la destruction préalable de l’existant qui est remplacé par une construction neuve.

[5] Rappelons au passage que to bulldoze signifie également intimider