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La pierre des Alpes qui fait vibrer ses nuances dans l’Ouest zurichois

Par Audanne Comment – Tracés n° 3501 – septembre 2020

La pierre de Salvan adopte des tonalités qui oscillent entre un vert profond et un gris léger. Parfois appelée Vert des Glaciers, la roche s’apparente à la couleur du Trient, un torrent glaciaire qui coule en contrebas de la carrière. La similitude avec la rivière se découvre également dans la structure de la pierre, une roche sédimentée il y a 300 millions d’années. Car la masse a solidifié les forces d’autrefois, figeant dans sa structure les mouvements de l’eau. Constituée de sable siliceux, la roche englobe un grand nombre de débris lissés tels des galets, atteignant jusqu’à dix centimètres de diamètre. La couleur de la pierre vibre avec d’autant plus de vivacité qu’elle est incrustée de différentes matières, quartz, granite, quartzite, gneiss, ardoise et charbon. Sa surface animée la rend unique, reconnaissable entre toutes. Outre sa palette expressive qui séduit de plus en plus largement les architectes, la pierre de Salvan est de bonne composition : une très grande solidité, une excellente résistance au gel et une couleur stable au soleil.

Mais la belle est farouche et la carrière de la Plane n’est pas d’un abord facile. Aujourd’hui encore, le caractère pittoresque et sauvage du site est palpable, la carrière ayant intégré la réserve de l’Arpille en 2015. La veine qui affleure sur la crête montagneuse culmine à 900 mètres d’altitude. Elle était visiblement exploitée depuis longtemps, comme en témoigne une meule à meunier. Horace Bénédict de Saussure, géologue et alpiniste de renom, empruntait en 1786 la vallée étroite pour rejoindre le pied du Mont-Blanc. Il s’extasiait alors face à cette roche qu’il décrivit en ces termes « la nature de la pâte qui enveloppe les cailloux roulés […] est d’une finesse admirable ». L’histoire récente de la carrière a pourtant connu quelques soubresauts. En 1996, la commune, agacée par les bruits d’explosion, la décrète peu conforme aux dispositions légales et la clôt. Après de nombreuses tractations, une nouvelle concession est accordée en 2011 à l’entre- prise Capinat établie à Martigny. Les techniques rudimentaires et bruyantes sont abolies, et c’est désormais grâce à un câble diamanté, un procédé adopté dans les années 1980, que les blocs de pierre sont proprement découpés. Un tunnel foré à travers la roche en facilite l’accès. L’entreprise aux racines valdôtaines s’est appuyée sur un savoir ancestral pour sauver de l’oubli une pierre aux qualités exceptionnelles.

Le chantier de tous les superlatifs a débuté en 2017. Sur l’ancien site CFF de la gare de marchandises à Aussersihl-Hard, un centre de compétence qui doit réunir les départements de justice et de police prend peu à peu forme. Le volume bâti, découpé de plusieurs cours intérieures, regroupera les services de la police cantonale, et une partie du tribunal, actuellement disséminés sur 30 sites. L’édifice accueillera à terme 2000 places de travail, ainsi qu’une prison. Les programmes étant aussi variés que complexes, les difficultés sont nombreuses. À ceux qui décident de relever le défi, la planification doit être irréprochable, afin d’éviter toute erreur susceptible d’entraîner des répercussions en cascade. Or, la moindre peccadille ranimerait les vifs débats qui ont accompagné ce projet, tenant en haleine les Zurichois. Depuis 40 ans que le projet cherche à exister, le sujet est aujourd’hui encore sensible.

Les architectes décident de reprendre les caractéristiques du plan d’ensemble. L’image désirée est celle d’une force physique, calme et retenue dans sa volumétrie. Différents types d’ouvertures permettent de s’adapter au programme. L’expression dominante reste celle d’une globalité rassemblant des parties. Le projet est à l’image de la pierre de Salvan, un conglomérat minéral.

Pour habiller les 15 000 m2 de surfaces de façade, 3800 tonnes de roches sont prélevées à la montagne. Les blocs sont découpés en plaques de 40 mm, puis passées sous un jet à haute pression qui en rehausse l’éclat naturel. À l’origine, l’habillage avait été imaginé en éléments lourds et massifs. Les connaissances apportées par les tailleurs de pierre ont fait fi des aprioris : les tests de résistance effectués sur le Vert des Glaciers ont démontré la pertinence et la solidité d’une solution tridimensionnelle, même dans un projet où la sécurité reste un point essentiel.

C’est à Vérone, temple mondial du savoir-faire, que la pierre est découpée par une machine à commande numérique offrant une précision au millimètre. Biseautées, les plaques sont assemblées pour former les éléments qui épousent la géométrie à facettes de la peau. Des wagons acheminent ensuite vers Zurich environ 1700 tonnes de cette précieuse matière, soigneusement numérotée et empaquetée. Aucune des pièces ne sera retaillée sur place. Les pierres sont alors fixées sur des supports métalliques, eux-mêmes accrochés aux parois en béton armé s’élevant sur six niveaux. Les joints sont calfeutrés au silicone et s’effacent autant que possible. La roche se retrouve également comme revêtement au sol des entrées et des espaces publics.

La pierre naturelle relève ici le défi d’habiller un projet à très grande échelle tout en restant attractive de près, grâce aux agrégats qui donnent à lire son histoire de manière plus intime. Le Vert des Glaciers devient une matière robuste et intemporelle qui offre au Centre de police et justice zurichois le sentiment de dignité qui lui sied à merveille.