Béton de Chanvre

Conférence au f’ar à Lausanne, le 30 septembre 2021

 

INTERVENTION de Bastien Thorel, Bastien Thorel architecture & construction, Lausanne

 

Jeune architecte diplômé de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, Bastien Thorel, entreprend la rénovation d’une grange-écurie en 2012. Située à 1450 m d’altitude, dans le hameau de Chandonne, la bâtisse est en pierres, une particularité due à la proximité du col du Grand St-Bernard qui favorise les échanges avec les valdotains, ceux-ci maîtrisant et exportant l’art d’appareiller les murs. La construction est organisée sur trois niveaux, avec en son soubassement, l’écurie destinée aux animaux ; au rez-de-chaussée, l’habitation ; et sous les toits, la grange autrefois remplie du foin qui nourrissait les bêtes durant l’hiver. Le vénérable édifice possède des murs maçonnés d’une épaisseur considérable.

Isolation périphérique à base de chaux-chanvre

La première intervention consiste à projeter une isolation extérieure, un mélange de chaux, de plâtre et de chènevotte (tige creuse du chanvre) d’une épaisseur de 7-8 cm en façade sud, couche qui s’épaissit à 12 cm en façade nord. Les façades ont été préalablement décrépies pour éloigner le ciment qui avait été appliqué dans les années nonante et qui empêchait les vieux murs de perspirer comme autrefois. Les embrasures ont été adaptées pour accueillir la sur-épaisseur, certaines étant en pierre de taille, d’autres étant en mélèze. Finalement, un crépi à base de chaux, de plâtre et de sable de la région est apposé et forme une couche finale protectrice. L’isolation projetée à base de chaux-chanvre s’adapte aisément à la géométrie du support, même lorsqu’il est courbe ou devient complexe. La technique corrige sans grand effort un mauvais aplomb ou une imprécision du support.

Capteurs solaires thermiques

Un système low-tech combine aujourd’hui panneaux solaires thermiques et stockage de chaleur. En toiture, ce sont de simples tuyaux chauffés par les rayons du soleil qui sont posés derrière un vitrage. Ils fournissent l’énergie nécessaire à l’eau chaude sanitaire et une partie du chauffage. Le système permet d’être indépendant durant 9 mois à une altitude d’environ 1500 m. Durant les 3 mois d’hiver plus rigoureux, un poêle à bois fournit un appoint nécessaire et maintient une température de confort à l’intérieur de l’habitation.

Le mur nord est décrépi à l’intérieur pour recevoir une isolation à base de chaux et de chanvre qui recouvre les tuyaux en cuivre reliés à l’installation de chauffage. Le coffrage est réalisé artisanalement en auto-construction. Bastien Thorel y verse des seaux d’un mélange qu’il a réalisé lui-même, à base de chaux et de chanvre, puis les compacte au pisoir. L’enduit de finition de cette paroi nord est réalisé avec de la terre prélevée sur place, tamisée et complétée par une terre à base de sable blanc et d’argile qui en éclaircit l’aspect. Le mur ainsi conçu peut dès lors être réparé facilement, à l’infini, grâce à de l’argile additionné d’un peu d’eau.

Toilettes à compostage

Cette première phase de transformation comprend également la réalisation d’une salle de bains au rez-de-chaussée. Les toilettes sèches qui y sont installées sont pourvues d’un composteur placé à la cave. Les eaux grises, savonneuses et grasses qui ne nécessitent pas de raccordement à une station d’épuration sont dès lors infiltrées ou dans le sol ou utilisées pour l’irrigation du jardin. Ces différentes interventions visent à rendre l’habitation aussi autonome que possible, renouant avec le caractère d’alors, proche de l’autarcie.

Rénovation de la grange

Une deuxième phase de chantier est entamée en 2020. Au second niveau, les chambres délimitées autrefois par des beudrons, ces planches bouvetées, enfilées dans une liste basse et haute, derrière lesquelles des copeaux de bois et de la sciure étaient glissés comme isolant, sont démolies au profit d’ossatures en bois. Le plancher de la grange est renforcé, les solives y sont moisées et les niveaux récupérés. Un mélange chaux-chanvre est projeté entre les solives du plancher et limite la propagation du bruit entre les étages. Une cloison porteuse servant de sommier inversé, renforce désormais la structure du vieux plancher. Les ossatures posées contre les murs périphériques sont utilisées comme coffrage pour maintenir l’isolation à base de chanvre. Elles supportent le parement intérieur réalisé en panneaux trois plis d’épicéa. Bastien Thorel termine son intervention en mentionnant deux références, un énoncé théorique rédigé par Florent Prisse, qui met en valeur le village voisin de Liddes, raconte l’architecture de la vallée et son évolution. Le bâti rural alpin était l’expression d’une agriculture de subsistance, construit en respectant des savoirs empiriques et des traditions, sans architectes. La seconde référence est une travail collectif intitulé « Raccards, greniers et granges-écuries, réflexions sur le bâti rural valaisan » mené par les étudiants d’architecture de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne en collaboration avec l’Etat du Valais. Le passage d’une monde agro-pastorale vers une économie touristique exerce son lot de transformation sur le patrimoine bâti, ceci dans un contexte de crise identitaire alpine.

 

INTERVENTION de Sébastien Pittet, Pittet artisans, Chavannes-sur-Moudon

Pittet artisans

Sébastien Pittet présente le travail de l’entreprise familiale Pittet artisans, qui a encadré et soutenu Bastien Thorel dans son travail. Basée à Moudon, l’équipe est actuellement composée d’une dizaine de personnes et exerçait à la base comme plâtriers-peintres. Pionnière dans l’utilisation de matériaux naturels, l’entreprise s’est très tôt impliquée dans le développement de techniques alternatives, souvent transposables en auto-construction. Leurs premiers clients ont été des maîtres d’ouvrage cherchant des solutions écologiques pour leur habitat. L’intérêt porté par les architectes reste encore très nouveau.

A Chandonne, près de 10 ans se sont écoulées entre la projection d’isolation sur les parois extérieurs et l’intervention dans la grange. La chènevotte, soit la partie solide de la tige, renferme de nombreuses cavités qui donnent les propriétés isolantes au béton de chanvre, le liant étant ici un mélange de plâtre et de chaux. L’entreprise employait jusqu’en 2010 la technique du pisé, pour mettre en œuvre de façon simple l’isolation chaux-chanvre. Puis elle est passée à une technique mécanisée offrant un meilleur rendement. Le béton de chanvre est directement projeté par la machine. La surface est alors plus rugueuse dans son aspect et des rejets s’éparpillent au sol. A partir de 10 cm de matière, un coffrage est désormais mis en place. Il est démonté après une demi-journée de travail, les joints qui apparaissent sont alors grattés afin d’unifier l’aspect de la surface.

Le chanvre

Le chanvre apporte un excellent confort à l’habitation et à son habitant. De par sa porosité, il devient un bon régulateur d’humidité dans le logement. En outre, au niveau de sa culture, la plante est rustique, résistante, et constitue une tête d’assolement pour l’agriculture. Sa croissance rapide permet une récolte annuelle ne nécessite que peu d’intrants et exige très peu d’eau. En France, il existe une tradition dans la culture du chanvre, avec une production standardisée qui approvisionne les Pittet artisans. En Suisse, le chanvre est depuis peu à nouveau autorisé et cultivé pour le CBD que certaines variétés contiennent. La chènevotte étant un déchet de la plante, des circuits courts pourraient se mettre en place. Cependant, pour parvenir à une qualité industrielle, l’implantation d’une chanvrière serait nécessaire, impliquant de gros investissements.

Déroulement du chantier

Concernant la logistique sur le chantier, la matière est stockée sans problème à l’extérieur. Sa mise en œuvre reste simple et contrairement à d’autres isolants biosourcés, il y a assez peu de précaution à observer. En fin de vie, la matière n’est pas évacuée en tant que déchets spéciaux, contrairement à d’autres isolants conventionnels.

Pittet artisans a développé un prototype de machine pour améliorer la qualité du mélange. Grâce à elle, la matière projetée sort de manière homogène, présentant une proportion idéale de fibres et de liant. Le dosage doit favoriser un maximum de vide pour améliorer le pouvoir isolant du béton de chanvre, l’idéal étant que les grains s’amalgament les uns aux autres avec aussi peu de liant que nécessaire.

La chènevotte est livrée en ballots de 20 kg, ce qui peut constituer un avantage lorsque le chantier se déroule en montagne et que l’accès reste difficile. Cependant, une nouvelle machine est à l’étude qui pourrait doubler le débit. Elle serait alimentée automatiquement par des sacs de 2 m3. Il faut poser les raccordements électriques avant l’intervention, y compris les boîtiers et préparer les embrasures, par exemple par un coffrage perdu en plaques fibrociment. Le béton de chanvre peut être posé entre chevrons, pour isoler des combles. Horizontalement, il peut servir de chape et intégrer un chauffage au sol. Verticalement, il fonctionne également comme murs chauffants. Le béton de chanvre se prête particulièrement bien à la rénovation.

Isolation répartie

Pour une construction neuve, il est intéressant s’il est mis en place comme isolation répartie englobant l’ossature en bois des parois. Avec du béton de chanvre, ce type de construction ne nécessite pas de pare-vapeur. De plus, comme le mélange chaux-chanvre est poreux, les murs restent perspirants et une ventilation mécanique devient superflue. Avec 280 kg/m3, le béton de chanvre est léger, ce qui favorise les économies au niveau des fondations ou de la structure. Sa conductivité thermique est comparable à une isolation en fibres de bois, avec un lambda de 0,045 W/mK. Sa résistance mécanique est de 0,2 N/m2. Il reste certes plus cher qu’un isolant en polystyrène, dans la mesure où la comparaison ne porte que sur l’isolant et non sur l’ensemble de l’ouvrage. Le béton de chanvre n’est pas un produit ayant toutes les certifications nécessaires. Pour qu’il devienne un jour un produit normé, il faudrait engager de l’argent, ce qui va dépendre du développement du marché. Les compétences acquises par Pittet artisans pourraient dès lors être transmises à d’autres entreprises. Certains concurrents se sont d’ailleurs lancés dans ce nouveau segment, utilisant des machines françaises qui jettent le chanvre en premier, puis le mortier ensuite et présentent une performance moindre au niveau de la résistance thermique.

Auto-construction

Pour des mises en œuvre intérieures, sans enjeux trop importants concernant la physique du bâtiment, le chanvre se prête parfaitement bien à l’auto-construction, comme l’a d’ailleurs expérimenté Bastien Thorel à Chandonne. Le mélange peut alors être appliqué comme un pisé, sans mécanisation. D’autre part, il est compatible avec la réalisation de courbes, ce qu’affectionnent les Pittet artisans. Le chanvre est ainsi un produit sans technologie et peut se poser à la main.

Pittet artisans s’intéresse également au béton de terre

L’entreprise collabore avec les écoles d’ingénieurs d’Yverdon et de Fribourg pour réaliser des essais de matériaux. Elle est également très active dans la construction en terre crue. Un projet soutenu par Innosuisse devrait démarrer au début de l’année 2022 concernant le développement d’une chape en géopolymère, à base de silicate et d’argile. D’autre part, des applications en béton de terre projeté, stabilisé ou non au ciment, ont également vu le jour. Certaines semblent d’ailleurs démontrer qu’une utilisation structurelle est possible.

Bastien Thorel et Pittet artisans

PDF de la conférence

Vidéo de la conférence

Pittet artisans
Chanvre

Pittet artisans
Vidéo pour une i
solation de sol en béton de chanvre

La chanvrière
Saint Lye, France